Soumis par Jean Monestier le 21 nov 2007
Dans le journal « Aujourd'hui en France » du 4 novembre 2007, Madame Christine LAGARDE, Ministre de l'Economie et des Finances, lançait naivement un appel en faveur de l'utilisation du vélo en ville. Un adhérent de vélo en Têt lui a adressé cette réponse.
Madame la Ministre,
En tant que cycliste pratiquant au quotidien, je m’étonne de la soudaineté de votre invite à utiliser le vélo pour les courts trajets. Elle me fait penser à ces requêtes qui voudraient que le train s’arrête au passage à niveau quand une voiture est bloquée sur la voie. Ces choses là ne se gèrent pas par le réflexe mais par l’anticipation.
La plupart des villes sont dédiées à la circulation automobile. Les villes françaises, à quelques exceptions près, ont consacré massivement leur voiries à l’utilisation de la voiture individuelle, pratique totalitaire qui marginalise les autres moyens de transports, et notamment les modes doux : marche à pied, vélo, roller, etc., et les transports publics de surface : autobus, taxis, etc. Même s’il est question de revenir sur cette décision dans le cadre du « Grenelle de l’environnement », il me semble que l’Etat lui même avait, ces dernières années, retiré son aide à la construction de certains des équipements urbains alternatifs à l’automobile.
Une ligne budgétaire séparée pour les structures cyclables. Cette idée a été développée par certains chercheurs il y a longtemps. Comme j’ai essayé de le faire reprendre dans les conclusions de la « réunion du Grenelle » tenue à Perpignan, les déplacements cyclables, les plus productifs en ville sur le plan énergétique, ne disposent même pas d’une ligne budgétaire séparée, à travers laquelle pourraient être gérés des crédits porteurs d’actions dans des domaines aussi divers que les transports, l’environnement, la santé, le tourisme et le sport, tous impliqués par l’usage du vélo, qui ne se compromettront jamais dans des budgets routiers, par exemple au financement des sur-largeurs interurbaines, concédées la main sur le cœur au vélo (50% des itinéraires disponibles dans le département 66), mais construites à prix d’or à l’épreuve des camions de 40 tonnes (et bientôt 60 nous dit-on ?), ce qui en réduit drastiquement la longueur.
De véritables réseaux cyclables. Depuis 20 à 30 ans, des associations essaient obstinément de faire comprendre aux municipalités et autres collectivités locales l’intérêt de réseaux cyclables structurés, continus, et sécurisés. Il s’agit par là de relier entre eux des points d’intérêt général, par exemple dans une commune la mairie, la gare, la poste, le collège, le centre commercial, l’entrée de la zone industrielle, etc., par un réseau matérialisé sur le terrain et dûment annoncé et signalé.
Il ne s’agit pas de concéder deux mètres de largeur aux cyclistes quand on refait une avenue qui se trouve par hasard assez large pour qu’on n’ait pas trop à réduire la surface consacrée depuis des temps immémoriaux au stationnement des automobiles, qui finit par constituer souvent une appropriation abusive de l’espace public. Cette action est velléitaire et notoirement inefficace. Il s’agit de créer sur le terrain un cheminement d’un point à un autre tout en respectant un certain nombre de critères :
Ce cheminement doit être aussi continu qu’un circuit électrique ou qu’une conduite de gaz, car sinon la circulation des cyclistes y restera marginale, ce qui deviendra ensuite un argument de mauvaise foi contre les promoteurs de cette action.
Il doit être sécurisé, et notamment isolé d’une circulation automobile intense, car le vélo est utilisable de fait par tout citoyen valide, homme ou femme, de 10 ans (pour aller au collège) à 80 ans (pour aller faire les courses). Mais les « zones 30 » ne sont souvent pas respectées ; les espaces de « circulation partagée » de certaines villes sont monopolisés par les véhicules à pétrole, et la notion de sécurité dépend un peu des visions et des expériences individuelles, surtout quand il s’agit de décider pour des tiers. Dans une réunion, j’ai proposé à un technicien que le critère d’une sécurité suffisante (elle n’est jamais parfaite) soit que 80% de parents enquêtés scientifiquement acceptent d’autoriser leur enfant de plus de 10 ans à rouler seul sur l’itinéraire évalué, et il a hurlé que « si l’on faisait intervenir la psychologie, on ne s’en sortirait pas ». Et pourtant, les Français ne sont pas fous. Sauf dans quelques villes exemplaires, dont parle notamment « Ville et Vélo », ils n’enverront pas leurs enfants circuler à vélo sur les voiries urbaines d’aujourd’hui. A part les groupes festifs et démonstratifs annuels, protégés par leur nombre et parfois leur escorte policière, et les risque-tout hommes de 20 à 60 ans, qui récusent d’ailleurs souvent les aménagements cyclables, peut-être pour mieux faire ressortir leurs glorieuses performances ponctuelles, le gros de la population ne pratiquera pas le vélo en solitaire au quotidien. A côté des militants, seuls le font les publics captifs, contraints et forcés par la pauvreté ou l’interdiction d’utiliser une voiture.
Une politique de « séduction efficace ». Quant aux transports en commun, s’ils sont de très grande qualité à Paris intra muros, où sont justement localisés les ministères, il n’en est pas de même dans les agglomérations moyennes où ils ne s’adressent en général qu’à ceux qui, ne pouvant faire autrement, ne reculent pas devant des fréquences de parfois plus d’une heure, et acceptent d’être consignés chez eux à huit heures du soir. Quand à la vitesse, combien de réseaux urbains jouissent de la priorité par radio commande des feux de circulation, déjà en service en Suisse dans les années 70 ? Je ne vois d’ailleurs jamais de cadres en cravate ou même seulement d’actifs moyens dans les bus de l’agglomération de Perpignan, tout simplement parce que personne n’a envie de s’exclure volontairement de la société à laquelle il appartient. Dans ce domaine comme pour le vélo, il est donc grand temps de passer d’une « politique de ramasse-miettes » à une « politique de séduction efficace ».
Le pétrole montera encore. Car le prix du pétrole, contrairement à ce que soutenait encore l’Etat dans l’enquête VRAL 2006, ne restera pas à 60 dollars le baril jusqu’en 2020. J’ai moi même, en tant qu’économiste de formation, évalué sa volatilité immédiate à 32 (1% de défection de l’offre par rapport à la demande provoque une hausse de prix de 32%, et, dans une hypothèse linéaire, 10% de défection provoquent une hausse de prix de 320%, soit un quadruplement). Compte tenu de l’évolution de l’offre et de celle de la demande, il ne baissera structurellement plus sur le long terme, et Jean-Marc Jancovici, dans « Le plein s’il vous plait ! » démontre l’urgence de consacrer l’argent des taxes sur l’énergie à transformer l’économie en profondeur (par exemple à travers une aide au changement de la motorisation des bateaux de pêche et des taxis, etc.) plutôt que de mettre la tête dans le sable en consentant à court terme de funestes réductions fiscales qui handicaperont ces actions.
Un nécessaire accompagnement par les politiques locales. Pour en rester à la promotion du vélo et des transports en commun, outre les mots flatteurs à l’adresse des citoyens, il vous faudra donc faire appel aussi à l’intelligence des maires, des préfets, des présidents de Régions, de Départements et de Communautés d’agglomération, des directeurs de DDE et autres services concernés, en leur octroyant bien sûr quelques moyens sonnants et trébuchants en appui à votre argumentaire, même si des transferts de budgets de projets désormais dépassés peuvent constituer de solides apports.
Si les collectivités locales dans leur ensemble ne changent pas fondamentalement d’attitude vis à vis des infrastructures cyclables, je crains que votre intervention du 4 novembre au niveau des comportements des citoyens ne provoque que des changements microscopiques à l’échelle du problème.
En vous remerciant de m’avoir lu, et restant disposé à participer à tout débat ou entretien sur ces sujets, je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de mes Respectueuses Salutations Citoyennes.