Soumis par Jean Monestier le 28 avr 2006
La Semaine parle de « trois risques de la période à venir » Il serait plus correct de parler de « certitudes » pour la cherté de l'énergie et pour le réchauffement climatique. Quant aux délocalisations, il nous paraît évident que le prix de l'énergie va changer la donne, et nous paririons plutôt pour une relocalisation de nombreuses activités, mais lesquelles ? A ce niveau, on pourrait parler plutôt de chances.
PRÉAMBULE
Dans tous les cas, il est impossible de faire des projets sérieux pour le département sans intégrer le fait que l'énergie fossile sera de plus en plus chère au fil des années, et ce sera l'axe principal de notre vision. Tout d'abord une croissance indéfinie de la consommation des carburants est mathématiquement impossible dans un monde fini. Ensuite, à l'heure où l'Inde et la Chine demandent de plus en plus de ressources naturelles sur les marchés mondiaux, alors que l'offre de pétrole et de gaz commence justement à s'essouffler irrémédiablement, des hausses des prix de ces ressources, que nous peinons à imaginer, vont mécaniquement se produire. Certains auteurs proposent d'ailleurs, pour atténuer la brutalité de leurs effets, de les anticiper par une taxation progressivequi dégagerait des moyens financiers pour accompagner l'évolution technique indispensable (Cf « Le plein s'il vous plait ! » de Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean éd. Seuil.).
De plus, de l'avis de spécialistes de plus en plus nombreux, l'effet de serre est enclenché et nous devons au plus vite diviser notre consommation de carbone au moins par deux dans un premier temps (certains disent par quatre) si nous voulons tenter de garder une région habitable malgré les bouleversements sans doute déjà non négociables : changement important du climat, modification du cycle de l'eau, migration ou disparition des espèces animales et végétales.
Dans ce contexte, proposer allègrement de construire de nouvelles routes qui vont augmenter la demande de carbone est inepte et criminel pour les générations futures. Nous ne parlons pas ici de vagues et lointains descendants, mais des enfants et petits enfants de ceux qui lisent ces lignes. En effet, outre que les travaux de génie civil représentent eux mêmes la consommation d'une importante quantité d'énergie fossile qui ne sera plus jamais disponible pour aucun autre projet, il est avéré que l'augmentation de l'efficacité des moteurs s'accompagne d'une augmentation et non d'une diminution de la demande globale de carbone (effet rebond). La création de nouvelles routes ne fait qu'exacerber ce phénomène.
Il est également vain de projeter d'importants investissements sur la Llabanère. Les compagnies aériennes vivent pour la plupart leurs dernières années, et les difficultés actuelles de Alitalia, de la Varig (que Lula refuse de subventionner), ou de la compagnie danoise, ne sont pas conjoncturelles mais structurelles. Le fait que le kérosène ne soit pas taxé (ni d'ailleurs pris en compte dans les calculs sur l'effet de serre), et qu'il soit énergétiquement de plus en plus coûteux à produire en proportion croissante dans les raffineries(Cf la newsletter mensuelle sur le site oleocene.org construit par l'ASPO.) va plomber irrémédiablement l'équilibre financier de ces entreprises par évaporation de la clientèle due à la hausse des prix des billets. Il faut s'en réjouir car il est urgent de réduire le trafic aérien, puisque l'efficacité énergétique croissante des réacteurs ne fait pas diminuer, elle non plus, la demande globale de carbone, ni la pollution de cette branche, redoutablement néfaste à haute altitude.
VOYAGEURS ET TOURISME.
Tant que la région aura un climat supportable, on peut penser que le tourisme y restera une activité non négligeable. Par la voie des airs, on peut raisonnablement imaginer qu'elle restera accessible à des dirigeables (que l'Allemagne est à peu près la seule à promouvoir actuellement), qui consomment quatre fois moins d'énergie que l'avion, et se déplacent quatre fois plus lentement, mais en ligne droite (quand il n' y a pas de vent), et peuvent atterrir sur n'importe quel terrain de football aménagé, donc au cœur de n'importe quel canton. Il faut espérer que les autres touristes arriveront en train et le moins possible en voiture. Rappelons que le train est le moyen de transport motorisé qui a la meilleure efficacité énergétique, et qu'il peut, en traction électrique, ne générer aucune émission de carbone, si l'électricité est issue d'une source primaire renouvelable, par exemple hydraulique.
-Réseau Ferroviaire
Le département a la chance d'être assez bien pourvu en voies ferrées, puisque même dans la vallée du Tech le rail va jusqu'à Céret, et il faut envisager d'électrifier au moins de façon légère celles qui ne le sont pas. Sachant qu'un véhicule léger consomme moins d'énergie qu'un véhicule lourd, il faudrait aussi, pour diminuer la facture d'électricité, mettre en circulation du matériel voyageurs léger, ce que la SNCF a toujours refusé obstinément durant des décennies, bien que le projet de tram-train de Mulhouse soit sur ce point une ouverture innovante à suivre avec attention. Mais l'étude d'un nouveau type de matériel roulant doit répondre à une demande au moins interrégionale ou nationale pour être viable.
-Réseau urbain
Dans le domaine urbain, Perpignan refuse actuellement d'envisager d'installer un tramways sous prétexte que le trafic est insuffisant par rapport à l'investissement. Rappelons que ce réseau existait et a été démantelé pour suivre une mode stupide et parfaitement irrationnelle. Nous suggérons de refaire les calculs avec un prix de l'énergie multiplié par quatre en intégrant les transferts de mode qui en seraient la conséquence. Sachant que des agglomérations du tiers monde ont déjà interrompu ou réduit leur service d'autobus du fait de l'augmentation du prix du pétrole(ibid.), est-il intelligent d'attendre que cette hypothèse se profile pour notre ville pour mettre en chantier un réseau de tramways dont la construction demandera au moins dix ans ?
Tant que les ressources naturelles, quoique chères, restent à des prix abordables, il nous parait infiniment plus urgent de construire un tel réseau que de continuer à consommer définitivement des ressources non renouvelables pour créer des parkings ou des rocades routières, dont l'utilité n'est envisageable qu'à très court terme, alors qu'un réseau de tramways bien entretenu pourra bénéficier à plusieurs générations. De plus, si l'écartement était le même, et si possible aussi le courant traction, la circulation de tram-trains sans rupture de charge permettrait une desserte continue de toute la zone de plaine bien plus agréable et rapide que les correspondances scabreuses imposées actuellement aux usagers. (Villefranche Canet, Céret Le Barcarès, ou Elne St Estève pourraient être en relation directe).
Notons enfin qu'une ligne de tramway engazonnée peut être considérée comme un espace vert, puisque le couvert végétal n'est traversé que par deux ou quatre bandes de fer de quatre à cinq centimètres de large, alors que les immenses surfaces goudronnées des autoroutes finissent, par leur importance, par favoriser les inondations en cas de forte pluie, l'humus n'y jouant plus son rôle de ralentisseur du ruissellement.
-Réseau cyclable
Il faut également accélérer la réalisation du réseau cyclable départemental. Rappelons que la nuitée est une unité de mesure de la production touristique, et que, si en voiture ou en train on peut traverser le département en quelques heures, il faut plusieurs jours à une famille en vélo.
Cultiver soigneusement la possibilité de remonter en bicyclette les trois vallées à partir de la véloroute européenne qui longera la côte et en parallèle aux trois ferrées secondaires qui serviront d'alternative, proposer par exemple à des parents accompagnés de leurs enfants de 10 ans d'explorer en toute sécurité la plaine et le plateau cerdan (desservi par le train jaune) nous semble fondamental pour garder un futur durable à nos activités touristiques sur l'arrière pays.
Le bon touriste est le touriste lent, et non le touriste mort.
Les routes principales actuelles sont totalement inaptes à la coexistence des cycles et des véhicules à moteur. Et la raréfaction progressive de ces derniers n'ajoutera dans un premier temps aucune sécurité car ils rouleront évidemment plus vite. La véritable solution consiste, si l'on veut s'ouvrir au tourisme lent, à créer un réseau spécifique, mais 2012 ou 2015 nous semble des termes dangereusement lointains. Pourquoi ne pas créer un réseau provisoire en utilisant plus rapidement le réseau rural existant. Cela permettrait de créer l'offre très vite tout en étalant l'investissement du plus urgent au moins urgent. Certaines chaussées parallèles aux voies routières rapides sont déjà réservées aux engins agricoles, vélos, cavaliers, c'est à dire auxcirculations lentes. Il faut systématiser cette possibilité. Sur l'axe Ille sur Têt Villefranche, par exemple, des petites routes parallèles à la nationale existent presque partout. Il faut les mettre en zone 30 ou y instituer une priorité absolue aux cyclistes, c'est à dire en clair poser que tout automobiliste impliqué dans un accident y soit automatiquement responsable à 100%. La notion de voirie partagée est en effet un concept flou qui ménage la chèvre et le chou sans ajouter un gramme de sécurité réelle. C'est en fait la vitesse générale qui est le critère fondamental, et il est juste que les citoyens et les touristes non motorisés aient le droit de se déplacer en toute sécurité ailleurs que sur des chaussées sur lesquelles les voitures ont un monopole de fait. Qui est assez fou, en effet, pour emmener ses enfants en vélo sur la RN 116. Il n' y a là qu'un droit théorique qui permet seulement aux responsables de tergiverser indéfiniment.
Partons de la réalité : dans les accidents de la circulation meurtriers, très peu de cyclistes sont tués par des motoculteurs et encore moins de piétons par des cyclistes. De plus, une servitude « circulation lente » ne gêneraitguère les transits agricoles, ni les riverains éventuels. Il faut donc
-# créer sur le terrain, en zone de plaine, une voirie lente continue depuis la mer jusqu'au fond de chaque grande vallée, à partir des petites routes rurales, comme cela a été généralisé dans l'île de Ré. Dans ce cas, on peut estimer que seulement 10% d'itinéraires neufs devraient être réalisés immédiatement.
-# baliser ce réseau de « circulation lente » par une signalétique spécifique et soutenue,
-# en communiquer abondamment les plans détaillés, agrémentés des catalogues des lieux d'hébergement et des sites intéressants avec leur degré d'accessibilité,
-# encourager le développement d'un véritable accueil spécifique sur le mode de ce qui existe sur les chemins de St Jacques de Compostelle (éventuellement en créant un statut de « village-étape » où des communes comme Bouleternère, Rodez, Marquixanes, Eus, Cattlar, etc. pourraient trouver une dynamique touristique),
-# et enfin, partout où c'est possible, investir progressivement dans la construction de vélo-routes au fur et à mesure que ce trafic s'intensifie, tout en conservant des alternatives crédibles par l'offre de compartiments vélos généreux dans le matériel ferroviaire circulant parallèlement à ces axes (à l'image de ce qui existe en Allemagne), ce qui permettrait tout fractionnement de trajet, gain de temps, ou circulation à l'abri à la convenance des voyageurs.
Rappelons pour conclure que ce réseau cyclable pourrait également être investi par les habitants du département. Il aiderait alors à la desserte en surface du réseau ferroviaire et à la productivité de son exploitation, puisque, si un cycliste est prêt à parcourir une distance cinq fois plus longue qu'un piéton pour se rendre à un point d'arrêt (5km au lieu de 1), cela signifie que la surface d'appel de chaque point d'arrêt, et donc sa clientèle potentielle à densité égale de l'habitat, est multipliée par cinq.
Enfin, la Cerdagne devrait également considérer l'intérêt de cette démarche pour la période d'été, car, si l'enneigement naturel est compromis par l'effet de serre, l'ajout de neige artificielle sera menacé par la cherté de l'énergie, sans compter qu'une consommation de 4000 mètres cubes d'eau par hectare et par saison deviendra sans doute elle même problématique.
Fret
Régulièrement, on nous ressasse que le ferroutage n'est intéressant qu'au delà de 300 ou 500 kilomètres. Nous pensons que là aussi les calculs devraient être refaits à partir d'un prix de l'énergie multiplié par 4, et qu'il faut cesser de considérer comme intangible l'organisation de l'espace industriel autour de la pseudo liberté d'implantation accordée par le tout camion. Les activités seront probablement revenues d'ici 10 à 15 ans auprès des voies de chemin de fer et des canaux, du moins celles qui mettent en jeu des tonnages significatifs, et ceux qui auront anticipé le mouvement sont ceux qui souffriront le moins de cette révolution énergétique. A part l'axe de St Paul de Fenouillet à Rivesaltes, l'activité ferroviaire fret est actuellement cantonnée à la zone littorale mais cela pourrait très bien changer.
Rappelons qu'à Paris, dans les années 30, l' « Arpajonnais » était un tramway fret qui amenait jusqu'au cœur des halles les fruits et légumes des maraîchers de la région d'Arpajon. C'est donc d'abord dans nos têtes que le camion doit être détrôné, car, sur le plan énergétique, il reste plus coûteux que le train, surtout si l'on intègre à la comparaison la construction et l'entretien des infrastructures, que le camion externalise en masse vers les automobilistes et les contribuables. C'est ainsi qu'on n'entend jamais parler du déficit des routes nationales et départementales.
Une voie ferrée est construite pour supporter des poids importants sur des bandes de roulement précisément limitées, alors qu'une chaussée routière, y compris dans ses sur-largeurs que l'on concède hypocritement aux cyclistes, doit supporter en n'importe quel point de sa surface une pression de plusieurs tonnes par décimètre carré, dans l'éventualité du passage ou du stationnement d'un semi-remorque. Economie efficace du côté du chemin de fer, débauche de moyens mais simulacre d'efficacité dans le cas de la chaussée routière. Les frais d'entretien sont à l'avenant, avec une usure régulière et prévisible d'un côté et des dégâts aléatoires et dispersés de l'autre, puisque les ornières ondulées que finissent par creuser les camions obligent évidemment à refaire toute la surface de roulement.
HABITAT
Malgré ses charmes, la maison à quatre faces n'est pas un choix pertinent sur le plan énergétique. La multiplication des lotissements sans modération est donc à la fois une erreur vis à vis d'un système de transport plus collectif, une mauvaise habitude sur le plan énergétique, et une destruction de la valeur agronomique de la terre, jamais prise en compte, et que nous regretterons peut-être amèrement quand les rendements agricoles vont baisser significativement. Le modèle recommandé par les spécialistes irait plutôt vers des lignes d'immeubles à deux ou trois étages au maximum, avec des parcs et jardins mis en commun.
Au sujet des matériaux utilisés, il faudra privilégier ceux dont l'origine est la plus proche, et dont le coût énergétique de préparation est le plus faible, mais le plus important est de minimiser la demande externe de chauffage et de climatisation, qui se renouvelle chaque année. Des normes existent et elles devraient être appliquées en priorité au domaine locatif, que ce soit à la construction ou lors de toute rénovation. Les propriétaires, qui sont plutôt économes de leurs frais de chauffage, sont assez insouciants en effet de ceux de leurs locataires, et de nombreux dossiers de surendettement ont pour origine des factures de combustible ou d'électricité.
On sait pourtant construire des bâtiments qui n'ont besoin d'aucune énergie externe, tel ce groupe scolaire du Val de Marne qui fonctionnera en septembre 2007, mais, si le mieux est l'ennemi du bien, il ne faut pas oublier qu'il faut cinquante ans et beaucoup de matériaux et d'énergie pour renouveler un parc immobilier. L'aménagement de l'existant, à commencer par l'isolation externe et non interne des bâtiments est la premièrepriorité. (Cf. « La Maison des Négawatts » de Thierry Salomon et Stéphane Bedeléd. Terre vivante.)
Mais les décisions générales comme l'établissement de normes ou l'interdiction du chauffage électrique à effet Joule échappent à l'initiative des collectivités locales. Il importe que chacun se responsabilise. Par ailleurs, il sera peut-être préférable de ne pas s'entêter, au nom de l'esthétique, à défendre telle ou telle règle qui deviendra parfaitement sans intérêt si la région devient totalement inhabitable. Cela n'interdit évidemment pas de protéger l'aspect et les abords immédiats des bâtiments historiques qui donnent sens à la vie locale, mais prohiber les éoliennes dans un rayon de 10 kilomètres à la ronde est un abus de droit grotesque qui empêchera à terme de vivre dans la région.
AGRICULTURE
Même si elle est en perte de vitesse, l'agriculture du département a forcément un avenir,
-parce que le rétablissement d'une priorité à l'aliment de provenance locale est inévitable du fait de l'augmentation du prix de l'énergie et donc du transport,
-parce que le relief montagneux du département et le réseau de canaux d'arrosage par gravité, donc sans dépense d'énergie de fonctionnement, qui en est l'équipement historique, garantissent mieux qu'ailleurs un approvisionnement en eau relativement stable, alors que les nappes phréatiques sont des stocks fixes, quasiment fossiles, qui ne se rechargent que très lentement, et devraient être réservés aux situations exceptionnelles,
-parce que des chômeurs jeunes et nombreux pourront se réinvestir dans cette branche, notamment en maraîchage, dès que la hausse du prix des fruits et des légumes, inéluctable elle aussi, redonnera à ce travail un sens économique dépassant celui de la simple autonomie alimentaire.
On peut enfin espérer qu'un micro-climat actuellement favorable, même détérioré par le bouleversement climatique, laissera au département des Pyrénées Orientales un certain avantage sur de nombreuses autres régions européennes.
Les engrais et pesticides venant en grande partie du pétrole, et provoquant par ailleurs des dégâts sur la santé que l'on commence à peine à mesurer, on peut supposer que l'agriculture « bio » a plus d'avenir qu'on ne pourrait le croire, surtout si des circuits courts réintègrent la valeur ajoutée chez le producteur, et si le recentrage sur les besoins de base amène les gens à accepter de consacrer une part plus grande de leur budget à l'alimentation. Entre le déficit structurel (et non conjoncturel) des systèmes de santé, et un budget alimentaire un peu élargi, saurons nous collectivement déterminer où se trouve notre bien être et notre véritable intérêt ? Il faut l'espérer.
Quand à l'énergie nécessaire à la production agricole elle même, aucunesolution unique ne peut se substituer intégralement à la situation actuelle, et il est probable qu'un équilibre évoluera en permanence entre
des carburants fossiles réservés aux usages les plus incontournables,
des carburants d'origine végétale, dont la production mobilisera des hectares qui ne seront pas disponibles pour d'autres usages, ce qui les fera réserver à des utilisations bien délimitées, et
de la traction animale, considérée par les centaines de millions d'agriculteurs qui la pratiquent sur toute la planète comme un progrès par rapport au travail des bras, et jugée même en Europe comme la plus efficace dans des domaines précis (vigne collinaire, maraîchage, débardage du bois notamment).
Il ne faut pas oublier que tous les choix s'effectuent actuellement dans un système de prix qui va basculer en quelques décennies, voire en quelques années, et que, encore une fois, anticiper sur cette évolution donnera un avantage incontestable. Les produits agricoles étant plutôt lourds, le grand bazar mondial des échanges de produits alimentaires va se calmer. Il faudrait bien sûr aider dès maintenant ceux qui sont disposés à travailler dans cette optique. Nous pensons notamment aux jeunes qui voudraient s'installer sur de petites surfaces et travailler en bio pour le marché local.
Il est probable que l'agriculture évoluera vers davantage de polyculture, qui donne en soi une plus grande sécurité économique à long terme, mais la viticulture standardisée qui a voulu affronter la concurrence internationale a selon nous peu de chance d'en réchapper, car le renchérissement des transports ne compensera pas tout de suite les incroyables différences de niveaux de salaires d'un continent à l'autre. Nous pensons par contre que la viticulture de terroir, qui aura su tisser des relations affective avec les populations locales, voire nationales, et les touristes, pourra tirer son épingle du jeu si la recherche de qualité , y compris « bio », ne faiblit pas, car le vin est, plus que tout autre produit, un symbole avant d'être un aliment. Et ceux qui auront su en faire un vecteur culturel et donner aux acheteurs l'envie de boire rituellement du vin de Lesquerde ou de Fourques auront peu à craindre du meilleur rapport qualité prix, plus technique que symbolique, d'un quelconque vignoble chilien ou chinois.
ADMINISTRATIONS ET SERVICES
Il faut espérer que le maintien des services publics sera raisonnablement assuré. Il est stupide et ruineux énergétiquement que toutes les naissances, tous les décès, toutes les convalescences, toutes les rééducations, etc., s'effectuent exclusivement à Perpignan, mais aussi que la moindre démarche de routine, la moindre opération postale, le moindre achat exigent obligatoirement du citoyen un trajet de 10, 30, voire 150 kilomètres. Les centres commerciaux excentrés seront mis en difficulté. Bien sûr Internet pourra éviter certains déplacements, mais sa banalisation nécessitera des terminaux publics aussi accessibles que des cabines téléphoniques, et, espérons le, plus confortables. De toute façon, l'achat d'un objet matériel exigera toujours un transport pour sa livraison, comme il y a mille ans.
Au delà du développement d'un artisanat spécifique visant à améliorer l'efficacité énergétique de l'immobilier en général, l'exigence d'économie des ressources naturelles devrait entraîner la montée en puissance des services de réparation ou de remise à niveau du matériel existant, qu'on ne décrètera plus obsolète avec autant de légèreté que maintenant. Si la prise de conscience des risques environnementaux et du gâchis générés par les incinérateurs progresse, le recyclage, la diminution à la source, et le compostage devraient diminuer massivement le poids des ordures par habitant , ce qui sera une autre source d'emploi ou d'activité économique selon la philosophie qui prévaudra.
C'est l'occasion de rappeler que le Mégawatt le moins cher à produire est actuellement le Négawatt, c'est à dire celui que des investissements intelligents permettent d'éviter d'avoir à produire(ibid). Encore faut-il que la charge ne soit pas externalisée, et que celui qui est à l'origine de la dépense soit aussi celui qui l'assume. Nous avons vu que ce n'est en général pas le cas en matière de logement et qu'il faut donc alors une intervention réglementaire au niveau de l'ensemble des prestataires, afin que la situation reste équitable. Cela risque d'être aussi le cas en matière de réparabilité ou de remise à niveau des biens d'équipement, de suivi des pièces détachées, ou, plus généralement, de Service Après Vente. Comme cela échappe actuellement en grande partie aux autorités régionales ou locales, nous en resterons là pour l'instant, mais ce dossier devra un jour être traité.
PRÉLÈVEMENTS DE RESSOURCES NATURELLES ET INDUSTRIE
On commence à se rendre compte que l'énergie solaire, la seule énergie renouvelable dont sont issues toutes les autres, souffre d'un grand déficit de recherche-développement. Même le marché du bois de chauffage est en train d'évoluer et de grandes évolutions sont là aussi probables (chaufferies collectives à haut rendement telles qu'en Cerdagne). Cependant, si ce combustible conserve de grandes possibilités dans la région, l'offre est limitée au niveau mondial, et la leçon de l'île de Pâques ou des agglomérations africaines devrait nous inciter à rester raisonnables(Cf « La fin du progrès ? » de Ronald Wrightéd. Naïve.). Il faut se tourner massivement vers le soleil, énergie essentiellement décentralisée, et chercher les processus permettant de capter cette énergie, de la stocker, et éventuellement de la concentrer et de la redistribuer. La création d'un pôle de compétitivité à Perpignan est une amorce de cette démarche, mais, dans l'attente d'inventions nouvelles ou de l'industrialisation de procédés encore au stade du laboratoire, des innovations déjà au point peuvent se diffuser.
Plutôt que de brader les terrains aux lotisseurs, opération non renouvelable qui stérilise la terre, les agriculteurs pourraient constituer des coopératives éoliennes, comme il en existe au Danemark, voire photovoltaïques, avec l'aide de capitaux locaux. En effet, l'énergie commence déjà à devenir chère, ce qui est un atout, d'autant que des tarifs de soutien aux formes de production renouvelables ont été instaurés, alors que les produits agricoles sont encore dans une phase d'abondance et de concurrence internationale peu favorable. Ces agriculteurs assureraient ainsi les 30 à 40% de revenus (ratio observé dans l'Est de la France) qui leur permettraient de passer peut-être le cap de la période actuelle. De plus l'agriculture consiste déjà à transformer l'énergie solaire en énergie alimentaire, et il n'y aurait là au fond qu'un élargissement de leur métier de base, et non une rupture, comme certains la vivent avec l'accueil touristique. Ce serait de toute façon plus sain et plus pérenne que de devoir leur survie à des primes et subventions qu'un trait de plume de Bruxelles peut supprimer.
Par ailleurs, pour faire rouler les trains, il faut du fer, et nous en avons dans le département. Le guide du Musée d'Escaro nous a appris que l'exploitation de la mine a été interrompue en 1964 parce que le minerai y revenait 1,5 fois plus cher que celui de Maurétanie. Ce différentiel est monté à 2, puis à 3, mais il est redescendu à 2. L'évolution va probablement se continuer avec l'augmentation du prix de l'énergie, et on peut imaginer que, dans quelques années, on cherche à nouveau à extraire du fer du Canigou, puisque les gisements sont, paraît-il, riches et abondants. Toutefois, il ne s'agira pas de rétablir ce qui a fonctionné jusqu'en 1964 ou de reconstruire des forges catalanes au bois. Notre gisement solaire est également excellent et une métallurgie solaire lourde reste à mettre au point. Mais les atouts sont là, et la renaissance d'une sidérurgie « high tech » pyrénéenne est sans doute plus à la portée d'une volonté politique majeure que la fusion nucléaire, qui est un gouffre financier dont l'objectif, quasi religieux et monstrueusement centralisé, s'éloigne d'une décennie tout les dix ans.
On nous avait demandé de rêver et nous avons voulu le faire jusqu'au bout.
Lire également sur ce même site, et à ce sujet, les propositions de l'association.