Piétonisation : en finir avec le dogme du « no parking, no business »

Alors que la réfection de la rue Jean Payra vient de débuter (elle n’accueillera plus que les bus et vélos à la fin de l’année), revient le débat de la piétonisation et plus largement le sujet de la place de voiture en ville.
La récente publication de Mathieu Chassignet (spécialiste en mobilités durables) sur Twitter, que nous nous proposons de vous retranscrire ici, est l’occasion de rappeler le non fondé des craintes des commerçants et de certains riverains à ce sujet.
N.B : la ville de Nancy (105 000 hab) a une taille similaire à celle de Perpignan (119 000 hab)

En vue de la piétonisation d’une partie du centre-ville, la ville de Nancy a réalisé une enquête auprès des clients et commerçants.

Résumé des points clés :

➡️ Une fois de plus les résultats montrent un vrai décalage entre les perceptions des commerçants et la réalité des usages des clients

L’enquête sur la mobilité des clients montre que :
➡️ La marche est le moyen de transport n°1. La voiture représente seulement 35%
➡️ Ce chiffre est similaire aux enquêtes menées dans d’autres grandes villes
Et 13% des clients sont venus à vélo, ce qui est loin d’être négligeable !

2è enseignement : la clientèle est très locale : 57% des clients vivent à Nancy et 89% dans le Grand Nancy
➡️ Cette proximité explique la faible part de la voiture dans les déplacements des clients (et là-aussi c’est similaire aux autres enquêtes)

➡️ Interrogés sur la création d’une nouvelle zone piétonne, 78% des clients s’y disent favorables.
➡️ Du côté des riverains, la grande majorité y est également favorable (68%) :

Les réponses dépendent du moyen de déplacement utilisé.
➡️ On note tout de même que même les clients qui sont venus en voiture sont favorables à la piétonisation :

Passons maintenant à l’enquête menée auprès des commerçants :
➡️ Ceux-ci surestiment énormément le poids de l’automobile parmi leur clientèle : ils estiment que 77% de leurs clients viennent en voiture alors que la réalité est de 35%
➡️ De même ils sous-estiment largement la marche et le vélo :

Cette surestimation de la voiture chez les commerçants a été observée partout où ce type d’enquête est réalisée.
Elle explique en grande partie l’opposition des commerçants aux projets de piétonisation… une opposition basée sur une perception erronée.

Résultat : seulement la moitié des commerçants soutiennent la création d’une nouvelle zone piétonne (alors que 78% de leurs clients la souhaitent !)
➡️ Des craintes liées à la mauvaise connaissance de la façon dont leurs clients se déplacent…

En conclusion : il faut continuer de faire ce genre d’enquêtes pour faire prendre conscience de la réalité des mobilité des clients (beaucoup d’oppositions viennent de leur méconnaissance).

Pour d’autres résultats similaires sur la ville de Lille : https://blogs.alternatives-economiques.fr/chassignet/2021/12/16/mobilite…
Article (de fin 2019) sur le sujet : https://blogs.alternatives-economiques.fr/chassignet/2019/12/12/commerce…

Repenser la circulation en centre ville : intraversabilité et piétonisation

Cela fait de nombreuses années que Vélo en Têt réfléchit sur l’évolution de la circulation en centre ville. En effet, le centre historique souffre depuis toujours d’une circulation de transit, puisque les lignes droites en sens unique permettent de le traverser plus vite qu’un contournement par les boulevards. Lors de la préparation de l’opération «Augustins plage» en mars 2012, notre comptage au niveau de la rue des Poilus montrait un trafic de 5000 véhicules/jour rue de la Fusterie ! Conjugué aux difficultés générales des commerces en ville, ce trafic inutile avec son lot de pollutions et d’insécurité pour les autres usagers de la rue, entraîne une désertification des rues des Augustins, de la Fusterie, … quand on voit que les commerces de la zone piétonne résistent mieux.

Thibaut Legaye avait travaillé lors d’une commission «La ville à Pied» à l’Atelier d’Urbanisme en 2011 sur le principe de dissuasion de la traversée automobile du centre ancien. De nouveaux éléments sont à prendre à compte dans un centre en pleine mutation : installation d’une annexe de l’Université place Fontaine Neuve, pôle muséal autour du Pont d’en Vestit, futur parking de la place Jean Moulin, nouvelle politique de la Ville, … Il y a aussi bien sûr la décision de la Cour administrative d’appel de Marseille qui demande la mise en double sens cyclable (DSC) de la rue Foch et de l’axe Place Catalogne- La Basse.

C’est avec tous ces éléments que nous avons dessiné sur une carte ce que pourrait être la circulation dans le centre à très court terme. Nos propositions se basent sur les deux principes suivants :

Intraversabilité du centre ancien : il doit bien évidemment rester accessible aux résidents et services (secours, livraisons, etc.) mais ne doit plus constituer un raccourci entre les deux bords du centre. Pour cela, nous avons repris le principe des «boucles et portes» de Thibaut : les voitures rentrent et sortent du centre par la même «porte» avec une logique de quartier. Des boucles de desserte alimentent les parkings. L’extension des rues rendues piétonnes (hors créneau matinal pour les livraisons) permet de créer des verrous empêchant la traversée du centre. Sur le bas du palais des Rois de Majorque, la mise en place d’un Rubic’s cube permet un accès partout aux résidents en dissuadant l’utilisation par les autres automobilistes du fait de la complexification du parcours.

Meilleur partage de l’espace public : Nous proposons une extension de la zone piétonne, englobant :

  • une bonne partie de la rue Foch, permettant ainsi sa mise en DSC sans aménagements coûteux.
  • dans la continuité la place du Pont d’En Vestit et la rue des Augustins.
  • les rues Petite et Grande la Real et de la Fusterie restent malheureusement condamnées du fait de l’accès à préserver au parking de la République.
  • un axe piéton de la place Rigaud à l’ancienne université, puis jusqu’à la place Cassanyes, permettent de compléter le parcours piéton d’un point à l’autre du centre ville et de désenclaver le quartier St Jacques et la place commerçante de Cassanyes.
  • un accès réglementé sur le quai de la préfecture, pour créer un verrou au niveau de la place Arago, les bus gardant bien sûr leur droit de passage.

Dans cette configuration du centre ancien en zone 30 partiellement piétonnisé, les cyclistes peuvent circuler en zone piétonne en respectant la priorité aux piétons, mais disposent également de parcours de traversée «rapides» grâce aux DSC qui leur assurent une continuité. La baisse du trafic rendra par ailleurs les DSC beaucoup plus sûrs et permettra leur extension sur les axes qui en sont aujourd’hui dépourvus.

Nous pensons que ces principes, même s’ils ne se traduisent pas exactement comme sur la carte jointe, sont de nature à redessiner le centre pour une meilleure qualité de vie pour ses habitants, une meilleure visibilité de son riche patrimoine historique et une redynamisation commerciale de certaines rues et places aujourd’hui désertées. De plus, leur mise en place pratique ne nécessite pas de reprise de voirie, donc est peu coûteuse en ces temps de vaches maigres.

Nous porterons ce projet auprès des élus et des techniciens de notre ville, et nous le diffuserons publiquement par voie de presse pour faire avancer la réflexion et nous espérons très rapidement, les réalisations !