Soumis par Thibaut LEGAYE le 20 fév 2010
L'énorme projet d'aménagement de la RD22b et de la RD81b, soumis à l'enquête publique pendant seulement un mois, trahit la grave absence de prise en compte des enjeux de l'urbanisme et de l'écologie par les collectivités.
Les débats tant médiatisés du Grenelle de l'environnement, les déclarations répétées en faveur du développement « durable », semblent n'avoir aucune conséquence sur les choix en matière de transport et de mobilité. On sait pourtant bien quels sont les enjeux en termes d'énergie, d'impact environnemental de cette activité : pollution, bruit, gaz à effet de serre, sont les plus évidents et suffisent à eux seuls à condamner la multiplication des aménagements routiers.
On en découvre cependant chaque jour de moins évidents, mais tout aussi graves. Ainsi les projets de nouveaux quartiers (comme celui du "Pou de les Colobres", futur éco-quartier à Perpignan) se heurtent au problème du bruit généré par les voies de contournement -très récentes- qui ceinturent la ville. Les niveaux sonores observés obligent à reculer les constructions de 60 à 100m, réduisant d'autant l'espace disponible pour l'habitat. Ces nouvelles routes ne stérilisent donc pas seulement par hectares des terres agricoles, elles finissent par les rendre également impropres à leur utilisation résidentielle.
Le développement de l'agglomération de Perpignan s'est fait par étoiles et couronnes successives de nouvelles rocades. Elles ont toutes provoqué une urbanisation diffuse, « en tache », sans jamais concentrer de forte densité d'habitat autour d'axes structurants de transport en commun, comme les recommandations des différents ministères le préconisent. La desserte par des transports collectifs de ces lotissements étalés dans la plaine sur Roussillon est devenue aujourd'hui impossible, et le réseau de l'agglomération peine à attirer vers ses bus leurs habitants, captifs de la voiture. Cette nouvelle voie aggravera évidemment ce phénomène et, desservant par une nouvelle route des centaines d'hectares, ils vont immédiatement devenir la cible de nouveaux programmes immobiliers diffus, vers lesquels il sera impossible d'envoyer des véhicules collectifs efficaces.
Il est inacceptable que les collectivités concernées, et leurs projets, ne prennent pas en compte le schéma de cohérence territoriale (SCOT) de ce secteur (Plaine du Roussillon) déjà bien avancé, et dont le document de diagnostic met clairement en lumière ce phénomène.
Comme pour toutes les rocades construites dans le passé, on affirme ici que ce projet est indispensable pour résoudre les problèmes de circulation automobile engorgée. Mais les équipements, vieux de quelques années à peine, dénoncés comme insuffisants aujourd'hui et qui justifient la construction de cette nouvelle panacée, étaient pourtant réputés pendant leur enquête publique apporter aussi une solution définitive au problème de la fluidité de la circulation des autos... On ne dit même plus que, bien au contraire, chaque nouvelle route, chaque élargissement stimule la croissance du trafic automobile, dont on dénonce partout en parole les nuisances, sans vouloir la combattre.
Le projet de RD81 traverse de surcroît un pays particulier. Il s'agit de la partie du Roussillon la plus proche de la mer. Pendant que dans les autres départements du littoral français (comme en Gironde) on protège un patrimoine de paysages et d'écosystèmes rares et fragiles, en repoussant les axes de communication loin de la côte, pourquoi favoriser ici au contraire son urbanisation ? Le département compte d'ores et déjà des axes importants Nord-Sud et faut-il rappeler qu'on élargit en ce moment même l'Autoroute A9 (à 2x3 voies) et qu'on construit une rocade (à 2x2 voies) qui lui sera parallèle.
Quel touriste espère-t-on attirer en détruisant ce qui reste d'espace non couvert de béton et de bitume à proximité du littoral ? Celui qui occupe son séjour à aller de la plage au supermarché en voiture ? Ou celui à plus fort pouvoir d'achat, sensible à la présence d'encore quelques espaces naturels ou agricoles et à la promenade, qui fréquente musées, expositions, concerts, spectacles, et monuments ?
Les riverains de ce projet comme les habitants du littoral et de Perpignan, le conseil de développement, les offices de tourisme, ... tous réclament depuis longtemps qu'on aménage ici des itinéraires de randonnée pédestre, des liaisons cyclables entre les villages et vers la ville. Cette nouvelle route, tout en détruisant les paysages du littoral, va hélas couper les possibles itinéraires alternatifs, les chemins de vignes, les pistes de bords d'agouilles, et rendre encore plus difficile et plus tardive le développement d'une offre alternative.
Enfin, ce projet de nouvelle RD n'est pas un aménagement qui vise à corriger une malfaçon, ou à supprimer des nuisances de la route pour certains riverains. Ceux de Joncet dans le Conflent, par exemple, réclament depuis des années que les milliers de camions et véhicules qui transpercent quotidiennement leur village par la rue centrale soient déviés sur une voie de contournement. Ce chantier de la nouvelle RD dans la plaine confisquera évidemment les moyens financiers de régler là-bas une nuisance insupportable.
Non, il s'agit ici d'un axe entièrement neuf, qui va stimuler la croissance du trafic automobile dans le Roussillon, aggraver une situation déjà préoccupante, conforter des politiques et des habitudes de transport individuel par nos concitoyens, qui deviendront de facto encore plus difficile à ré-orienter, et enfin générer ici les mêmes nuisances routières qu'on souhaite là-bas combattre.
Et ces moyens financiers ne seront évidemment pas non plus accordés au développement et à la rénovation des équipements ferroviaires, aux modes de déplacement non polluants, aux alternatives à la voiture, à la re-localisation des services et des emplois, à la mixité de l'urbanisation,...
C'est donc une erreur grave, une fuite en avant, une reproduction et une aggravation des erreurs d'aménagement faites à la fin du XXème siécle, un crime environnemental, que de construire ces nouvelles routes. Les avis portés sur le dossier d'enquête publique sont unanimes dans ce sens. Leurs différents auteurs ne comprendraient pas qu'on déclare par conséquent ce projet "d'utilité publique".
Pour voir en ligne ce projet routier, voir le site du conseil général.
Ces remarques n'ont pour une fois pas été inutiles puisque la conclusion de l'enquête semble finalement avoir été négative. Rien n'assure qu'on ne ressorte pas un jour ce projet tel quel des tiroirs pour une nouvelle enquête... Mais en attendant, nous avons gagné un peu de répis pour ces hectares épargné du bitume...