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une loi inutile ?

Les lecteurs réguliers de ce site se souviennent qu'en 2010, alors que dans les
zones 30 de France, toutes les rues devenaient obligatoirement à double sens pour
les cyclistes, la Ville de Perpignan (VdP) n'appliquait que partiellement cette
règle, excluant par arrêté municipal son application dans les principales rues
du centre [lire [l'article de l'époque->177). Nous avons alors engagé un recours au
tribunal administratif contre cet arrêté pour contraindre la VdP, sourde à nos
demandes, à suivre l'engagement national en faveur d'un nouveau "code de la rue"
et de villes plus cyclables, qui se traduisait par cette nouvelle règle édictée 2
ans auparavant.

Les bénévoles de "Vélo en Tet" ont produit un travail colossal pour présenter nos arguments et répondre à ceux de la mairie. Nous présentons ici ce travail car il a à être connu de nos adhérents. Et il est aussi ainsi disponible pour toutes les associations, semblables à la notre, qui voudraient s'en inspirer pour, chez eux aussi, faire respecter les textes de lois favorables au vélo en ville.

Rejet

Au terme d'une longue procédure, nous n'avons pas obtenu du tribunal Administratif de Montpellier l'annulation de l'arrêté municipal en cause. Ce ne sont sans doute pas la qualité des arguments de la Ville de Perpignan qui conduisent à ce rejet de notre requête, mais sans doute le sentiment chez les juges du TA que la possibilité pour une bicyclette de prendre une rue dans les deux sens est un détail qui ne mérite vraiment pas qu'on contredise un arrêté municipal, fût-il contraire au PDU, qui s'impose à la VdP comme à toutes les communes de l'agglomération. L'interprétation du décret, qui favorisait en 2008 l'utilisation de la bicyclette comme outil de mobilité urbaine, est donc surprenante, puisque le juge considère qu'il n'a rien changé. On pouvait déjà faire des DSC (Double-Sens Cyclable) avant le décret. Et depuis qu'il affirme que «dans les zones 30, toutes les rues sont à double-sens pour les cyclistes», on n'est pas plus qu'avant obligé de les faire. À quoi sert ce décret alors ? Le juge ne le dit pas... Pour faciliter la lecture de ces documents nous résumons ici ce qu'il contiennent. Chacun lira ainsi -ou survolera- ce qui lui semble intéressant ou non.

Recours

L'introduction de notre requête auprès du TA rappelle le contexte réglementaire de la prise de cet arrêté litigieux, puis démonte, une par une les raisons qui semblent avoir conduit la VdP à exclure du dispositif des DSC en zone 30 les principales rues du centre-ville (trafic trop important, déclivité et largeur des rues, passage du mini-bus, ...).

Défense

La réponse de la ville de Perpignan à notre mémoire d'introduction avance quelques arguties sur la recevabilité de notre requête. Cette partie n'est pas très intéressante. Puis elle s'érige (p. 2), en «précurseur dans la réflexion liée à la politique des déplacements urbains» (sic). Hélas elle ne produit pas de document qui témoigne de ces profondes réflexions. Elle affirme ensuite que le projet d’arrêté aurait été soumis à une «concertation associant services techniques, maires de quartiers et associations» et ajoute, sur un ton très sérieux, qu’une «place centrale fut donnée à l’association» Vélo en Tet, laquelle aurait été «reçue plusieurs fois en mairie» ! Cela n'intéressera que les connaisseurs du fonctionnement de l'équipe municipale de Perpignan, mais témoigne aussi de l'état d'esprit de ses représentants, qui pense que nous souhaitons «une ville dominée par le vélo» ! Plus intéressant dans le débat juridique, la VdP affirme (ce qui se trouvait dans le titre de l'arrêté contesté) que son arrêté permettait la «création de doubles sens cyclables». Et second argument : l’idée qu’il n'y a aucune obligation d’aménagements lorsque ceux-ci sont nécessaires pour rendre applicable le DSC.

Réplique

Nous constatons dans ce second mémoire qu'à Perpignan «la réflexion du précurseur»" (!) n’a pas encore porté ses fruits en matière de vélo (1% de part modale...), et qu'au contraire toutes ces réflexions et concertations ont conduit à certaines absurdités pour la circulation des vélos. Ici aussi, les Perpignanais, dont la ville est bel et bien «dominée par la voiture», s'amuseront amèrement de cette lecture. Au contraire de la VdP, nous affirmons que c'est le décret de 2008 lui-même qui instituait le DSC (et cela dans toutes les zones 30 de France) et que cette règle est pour la ville une obligation à remplir, pas un pouvoir de décision. Concernant les aménagements, ils sont selon nous forcément obligatoires sinon, en n'aménageant pas les voies, les communes pourrait retarder indéfiniment la mise en application du décret. Nous affirmons également, en le citant, que l'arrêté litigieux est en contradiction avec le PDU, et que le CERTU a démontré souvent que le DSC «garantit une sécurité avérée»".

Fax

Faxée le 18 octobre, alors que la date de clôture était fixée au 19 octobre, la réponse de la VdP nous taxe d'individualisme, d'être motivé uniquement par un but partisan... Elle nous donne aussi un “truc” pour aller de la Place de la République à La loge à vélo : c'est très amusant..., mais tout ça n'a aucun intérêt juridique. En revanche, elle invoque pour sa défense : 

  • les publications du CERTU,
  • et semble se demander si le PDU est applicable à la commune de Perpignan...

Clôture

Un mois plus tard, nous produisons une réplique à ce mémoire. C'est un délai convenable selon nous, et nécessaire pour les bénévoles que nous sommes, non-professionnels du droit. Nous dénonçons dans ce dossier le dénigrement de nos intentions par la VdP, et la pauvreté de ses arguments. Par ailleurs -rions un peu- nous lui apprenons que la galerie commerçante qui va de la Place République à la rue des Marchands est fermée pour travaux depuis des mois. Elle a d'ailleurs, depuis, été transformée en magasin, que nous vous encourageons à tenter de traverser avec votre "vélo à la main" comme le suggérait la VdP ! Bref. La VdP convoquait aussi dans le débat un soi-disant "certificat de vertu" du CERTU sous la forme d'une de leurs fiches sur les DSC. C'était un nouvel élément. Nous démontrions alors que le CERTU lui-même était revenu sur la rédaction de cette fiche en reconnaissant la validité de nos arguments. La VdP semblait vouloir s'exonérer des dispositions du PDU de la communauté d'agglomération. Nous démontrions, facilement, dans ce mémoire que le PDU non seulement s'impose évidemment à la VdP mais, de surcroît, est favorable au vélo, ambitieux même, et décrit pratiquement, avant l'heure et plans à l'appui, la généralisation des DSC en ville.

Forclos

A notre grande surprise, le TA nous a répondu que notre mémoire était forclos puisque la clôture avait été fixée au 19 octobre, le lendemain du dépot du mémoire de la VdP. Nous pensions naïvement que cela provoquait forcément une réouverture, puisque le TA ne devrait pas nous interdire de réagir à deux nouveaux éléments introduit dans le débat par la VdP...

La surprise passée, nous avons rédigé une très officielle demande de réouverture à laquelle nous avons joint à nouveau notre dossier, celui-ci ayant été un peu modifié et complété. En effet, entretemps, une circonstance de droit nouvelle était apparue : un jugement du Tribunal administratif de Marseille du 23 janvier 2012 nous donnait une jurisprudence très favorable à notre position. Ce dosssier reprenait donc maintenant trois nouveaux éléments : 

  • la jurisprudence du Tribunal administratif de Marseille du 23 janvier 2012
  • Le PDU s'impose évidemment à la VdP, et son arrêté s'oppose :
    • au «principe de généralisation des contresens cyclables» (sic) du PDU, 
    • à la nécessité d'offrir les itinéraires les plus «directs», les plus «continus», les plus «rapides» pour relier en vélo des différents «pôles» générateurs de déplacements (ce sont des citations du PDU),
    • au schéma cyclable du PDU qui représente, par un aplat jaune, le centre ville comme une zone entièrement cyclable.
  • La fiche du CERTU, citées par la VdP elle-même, qui dénonce la non conformité de l'arrêté de 2010 au décret de 2008. Le CERTU lui même ayant expliqué dans de nombreuses publications de quelles façons Perpignan aurait pu envisager son application correcte.

Audience

Ce dossier n'a pas été pris en compte non plus... Nous avons donc attendu l'audience qui a eut lieu le 9 octobre 2012. Ce jour-là, le rapporteur public a complaisamment repris dans ses conclusions les arguments de la VdP et semble considérer que le décret, en modifiant l’article R. 110-2 du code de la route, n’édicterait aucune règle de droit et se contenterait donc de donner un conseil, ou d’exprimer un souhait ! «Il n’y a ainsi nulle part, et cela se conçoit aisément, d’obligation pour les communes de réaliser les aménagements nécessaires afin de permettre le DSC dans l’ensemble des zones 30. Le maire doit en effet constater l’aménagement existant, éventuellement mettre en place un aménagement afin de permettre un DSC mais en aucun cas, réaliser l’ensemble desdits aménagements »... On se demande alors pourquoi les dispositions du décret devait être «rendues applicables [...] par arrêté [...] au plus tard le 1er juillet 2010» ? Est-il vraisemblable que la liberté d’agir comme avant soit assortie d’un délai ?

Délibéré

Surpris par ces conclusions défavorables, et considérant comme impossible que les auteurs du décret de 2008 n’aient pas entendu imposer une quelconque obligation au maire, nous avons introduit une note en délibéré avant le jugement. Nous y citons aussi les extraits du PDU que le rapporteur prétend ne pas avoir vu dans notre mémoire en réplique. Ils nous étaient très favorables, notamment une délibération du 27 septembre 2007 imposant aux communes de l'agglo le «principe de généralisation des contresens cyclables» (sic).

Rejet

Chose surprenante : comme l'y encourageait le rapporteur, le juge rejette notre requête et nous condamne de surcroit à verser à la Ville de Perpignan une somme de 1000 euros ! Contrairement à la ville, qui réclamait ces 1000 euros dans ses mémoires, nous avions écrit dans les notres qu'en cas d'issue favorable, nous ne demanderions aucun remboursement des frais que nous engagions dans ce recours. Voila qui n'encourage pas les citoyens à porter devant la juridiction administrative de Montpellier des questions de fond sur le sens des règles qui apparaissent dans notre droit en faveur d'un nouvel urbanisme...